Révolution Tranquille

Publié le par Ofek

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Il y a révolution quand un peuple exerce son pouvoir pour mettre fin à la domination d’une élite politique ou d’uan sous-ensemble important de cette élite.
Avec 86 % de participation – un record - les résultats du premier tour de l’élection présidentielle française sont l’expression manifeste et massive de la volonté du peuple.
Et ce matin, plusieurs groupes influents de l’élite française – le clan chiraco-villepiniste, la technocratie moderniste de gauche, les salles de rédaction de la presse parisienne – ont un sentiment assez similaire à celui que devaient ressentir les membres des polices politiques des pays de l’Est après la chute du Mur de Berlin.
 
Pour Chirac et son clan, quatre années passées à tenter, par tous les moyens, d’abattre Sarkozy s’achèvent par le triomphe de leur ennemi, qui réalise, avec plus de 30 % des voix, le meilleur score d’un candidat de droite au premier tour depuis plus de 30 ans (Valéry Giscard d’Estaing avait obtenu 32,6 % en 1974). En nombre absolu de voix, Nicolas Sarkozy est tout près d’obtenir le double du résultat de Chirac en 2002.
 
Il y a dix jours, l’Elysée avait tenté une dernière fois de plomber Sarkozy en téléguidant une prétendue fuite – en fait, une manœuvre classique de désinformation – selon laquelle le candidat aurait passé un accord avec le Président pour lui épargner les conséquences judiciaires de la corruption massive de ses années à la mairie de Paris.
Après l’échec de Clearstream et de diverses campagnes de presse décrivant Sarkozy comme un excité ou un caniche des Etats-Unis, Chirac essayait de faire rejaillir sur le candidat une partie du dégoût que les Français éprouvent à son égard. Au moins, le Président ne surestime pas l’affection de son peuple.
Les résultats d’hier soir sont le dernier clou dans son cercueil politique : Sarkozy n’a plus besoin, pour gagner, ni du soutien de Chirac ni même du moindre accord avec lui.
 
Pour la technocratie modernisante du parti socialiste, Royal avait toujours été la candidate par erreur – celle que les militants de base, ouvertement méprisés par ces hauts diplômés, avaient imposée contre les candidats « plus crédibles » qu’étaient Strauss-Kahn et Fabius.
Elle avait ensuite aggravé son cas en centrant sa campagne sur deux thèmes chers à l’électorat populaire : la redistribution massive des richesses et le rétablissement de l’autorité. Ce faisant, la candidate affichait ouvertement son mépris pour les technocrates – qui demandaient que la gauche se rallie explicitement à l’économie de marché - tout en annonçant un système complexe de régulations et d’interventions qui garantiraient la paix sociale (ou, à défaut, la création de places au nom ronflant pour les technocrates eux-mêmes).
Ces dernières semaines, le divorce entre l’élite de gauche et la candidate avait atteint le point de rupture, avec un exode massif de cette élite vers le vote Bayrou.
 
Résultat : non seulement Royal l’emporte sur Bayrou pour une place au second tour, mais ses résultats sont nettement supérieurs à ceux que le candidat historique de cette « gauche moderne », Lionel Jospin, a jamais pu obtenir. Là encore, le nombre absolu de voix de la candidate sera proche du double de celui de Jospin en 2002. Avec 25 % des voix, Ségolène Royal fait même mieux, en pourcentage, que François Mitterrand en 1981 (mais moins bien que le dirigeant historique du socialisme français lors de ses trois autres élections présidentielles en 1965, 1974 et 1988).
La leçon est claire : à gauche, en France, ne pas écouter les élites est la meilleure voie vers le succès.
 
Le candidat de repli de l’élite de gauche, François Bayrou, fait un excellent score – près de 19 % -, soit davantage de voix, en termes absolus, que Chirac n’en a jamais obtenues.
Mais la capacité de Bayrou à peser sur le deuxième tour sera très limitée. Il va désormais chercher à consolider son résultat et à faire émerger le centre comme une force distincte de la droite et de la gauche, ce qui, en toute logique, devrait le conduire à ne pas donner de consignes de vote explicites pour le second tour.
Cette tactique peut être payante à moyen terme, et notamment lui permettre d’obtenir un plus grand nombre de députés lors des prochaines élections législatives. Mais pour le second tour, elle le condamne à voir ses électeurs faire leur choix sans lui. On peut prédire que son électorat traditionnel – soit un gros tiers du total – retrouvera la tradition centriste de vote à droite au second tour. Le comportement des « nouveaux centristes » – les 10 à 12 % d’électeurs qui ont voté Bayrou pour la première fois – est plus difficile à prévoir. Il représente aujourd’hui la principale variable dont dépendra le résultat final.
 
Après le clan Chirac et la gauche moderniste, le troisième groupe qui contemple aujourd’hui la perte de son influence sous les coups de boutoir du peuple est constitué de la forte majorité anti-sarkozyste des journalistes français travaillant dans les journaux nationaux (les journaux provinciaux sont une autre affaire).
Certes, une partie des patrons de presse se sont ralliés à Sarkozy, cependant que d’autres ont adopté une attitude prudente pour ménager leur carrière. Mais l’atmosphère des salles de rédaction des journaux nationaux – reflétée dans le ton de la grande majorité des articles – est massivement et réflexivement hostile au candidat arrivé en tête.
Sarkozy y est décrit comme un extrémiste, une personnalité inquiétante et un fauteur de troubles. Il doit être d’extrême-droite, puisqu’il se soucie plus des victimes que des voyous ; il doit être fasciste, puisqu’il a de la sympathie pour les deux démocraties des Etats-Unis et d’Israël.
 
Il n’est pas exagéré de dire que, pour une majorité des journalistes nationaux, faire perdre Sarkozy a été, ces derniers mois, un objectif plus important que de rendre compte objectivement de la campagne.
C’est pour cela que la manipulation de l’Elysée, prétendant que Sarkozy accorderait l’immunité à Chirac, a été reprise sans qu’aucun journaliste se demande si l’identité de la source (un conseiller du Président) ne rendait pas l’information suspecte.
C’est pour cela aussi que des trésors d’ingénuité et des tonnes d’encre ont été dépensés pour présenter une opinion discutable, mais sans aucune conséquence programmatique (pour mémoire, Sarkozy est d’opinion qu’on «naît pédophile» et qu’on a «sous-estimé l’influence de l’inné» dans les pulsions suicidaires) comme le signe avant-coureur d’un nouvel âge sombre.
Le peuple français, manifestement, n’a pas écouté ceux qui se voulaient ses maîtres à penser.
 
A côté de ces trois segments de l’élite française, les autres grandes perdantes du scrutin sont les forces du chaos – les mouvements politiques qui, aux deux extrêmes, tirent leur force du désordre et de la haine.
L’extrême-gauche au complet (Besancenot, Bové, Buffet, Laguiller et Schivardi) s’effondre, avec un total combiné qui sera probablement inférieur à 10 % des voix, pour la première fois de l’histoire de la Cinquième République (elle avait obtenu près de 14 % des voix lors des deux élections précédentes).
L’élection est également un désastre pour Le Pen, qui fait, avec 11 % des voix, son résultat le plus faible depuis son apparition parmi les grandes forces politiques françaises dans les années 1980. Non seulement le vieux cheval a été empêché par son grand âge de faire une campagne dynamique, mais il est probable que ses récentes initiatives en direction du vote musulman lui ont davantage coûté dans son électorat traditionnel qu’elles ne lui ont apporté de nouvelles voix dans les banlieues.
 
Les deux extrêmes avaient pris des forces pendant l’ère Chirac, ce qui avait fait croire à plusieurs commentateurs que le peuple français rejetait son système de gouvernement, cette démocratie parlementaire modérée et gestionnaire qui reste l’une des plus grandes forces de mon pays.
Les résultats d’hier semblent montrer, au contraire, que ce n’est pas le système qui a été rejeté au cours des douze dernières années, mais ses dirigeants.
Une fois disparus Chirac et Jospin, les Français sont aussi prêts que tous les autres peuples civilisés à jeter les extrémistes à la gouttière.
Si les résultats d’hier sont bien, à certains égards, une révolution – c’est-à-dire un rejet massif de certaines élites par le peuple – c’est une révolution très particulière, puisqu’elle s’accompagne d’une réduction et non d’une augmentation des forces du chaos.
 
En avant donc, désormais, pour le deuxième tour. Quoi qu’en disent, dans les prochains jours, les journaux français, Nicolas Sarkozy part en net favori.
Même si on exclut les 19 % de Bayrou, le total des voix de droite et d’extrême-droite atteint environ 44 % contre 37 % pour la gauche et l’extrême-gauche.
Pour gagner, Royal aurait besoin de près de trois quarts des voix centristes, ou deux tiers des voix centristes et 20 % de celles de Le Pen. Un tel report de voix semble contre-intuitif à tous les analystes politiques.
 
Mais il est vrai que le peuple français a prouvé hier, une fois de plus, qu’il a toujours un coup d’avance sur ceux qui prétendent comprendre son comportement électoral.
 
Sébastien Castellion sur Metula News Agency
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